OPINION SYSTÈME DE SANTÉ

La médecine de fin de semaine

Pourquoi les omnipraticiens seraient-ils tenus d’offrir une telle disponibilité, alors que ce ne serait pas le cas pour le reste du réseau ?

Les futures supercliniques font les manchettes actuellement, ce qui donne l’occasion au ministre Barrette de rappeler à ces « paresseux » omnipraticiens que la population s’attend à pouvoir consulter un médecin au moment où elle le souhaite, y compris les soirs de fin de semaine.

Certes, cette position est défendable.

Mais encore faudrait-il que le ministre, s’il souhaite avoir l’air minimalement cohérent, nous explique pourquoi les omnipraticiens seraient tenus d’offrir une telle disponibilité, alors que ce ne serait pas le cas pour le reste du réseau qu’il dirige.

En effet, la fin de semaine, les services diagnostiques (imagerie, laboratoires, etc.) fonctionnent au strict minimum. Les centres de prélèvement sont le plus souvent fermés. Les spécialistes qui sont de garde sur appel ne répondent qu’aux consultations les plus urgentes. Les salles d’opération et de radiologie d’intervention remettent au lundi (voire à plus tard encore) presque tous les cas où il n’y a pas urgence absolue. On limite drastiquement dans les hôpitaux l’accès aux services professionnels (pharmacie, physiothérapie, service social, etc.) Les services infirmiers ambulatoires sont faméliques.

Donc, pendant deux jours (voire trois quand s’ajoute une journée fériée), le système est au point mort. Rien ne se passe. Et après, on s’étonne que les hôpitaux soient surchargés en début de semaine, que les durées de séjour se prolongent, que les patients hospitalisés ayant besoin de réadaptation intensive perdent des forces… Combien de temps les patients et le personnel soignant gaspillent-ils à rattraper le retard accumulé pendant la fin de semaine ?

Le pire, c’est que même si les supercliniques étaient ouvertes le samedi soir, les médecins qui y travailleraient n’auraient pas accès aux ressources nécessaires pour immédiatement prendre en charge une part importante des patients qu’ils y recevraient.

Ils n’auraient alors que deux option : les envoyer aux urgences ou remettre le problème à la semaine suivante. Y aurait-on gagné quelque chose ?

J’aimerais donc que notre cher ministre, pour une fois, ne cible pas que les omnipraticiens, s’il souhaite que son désir d’offrir des soins « hors des heures ouvrables » soit autre chose que de la poudre aux yeux démagogique.

(En passant, oui, je suis omnipraticien, et oui, je travaille « seulement » à l’hôpital. Mais je suis en poste une fin de semaine sur deux, comme d’ailleurs la très grande majorité des omnipraticiens qui ont choisi – ou ont été jadis incités par le gouvernement à choisir – une carrière hospitalière. Qui veut vraiment nous donner des leçons de disponibilité ?)

OPINION SYSTÈME DE SANTÉ

Prière de me laisser soigner

Comme médecin de famille, je crois profondément en la médecine préventive

Nouveauté au Québec depuis le 1er juin : pour avoir droit à un rendez-vous de prévention avec un médecin de famille, vous devez maintenant être malade !

En effet, depuis cette date, les médecins de famille du Québec ne doivent plus faire d’examens annuels aux patients qui ne sont pas considérés comme étant des clientèles vulnérables (maladies particulières nécessitant un suivi régulier). Si vous êtes en bonne santé (ou si vous croyez l’être), passez votre tour ; il ne faut surtout pas encombrer le système avec votre consultation préventive. Attendez d’avoir un symptôme et là, vous pourrez consulter le médecin pour avoir des examens ciblés sur ce dernier.

Je me croyais au Québec, dans le Canada. Je me croyais en 2016. Je croyais que le Québec était une société évoluée, un fleuron dans le monde. Mais je commence de plus en plus à me poser de sérieuses questions…

Comme médecin de famille, je crois profondément en la médecine préventive. Dans ma formation, on m’a toujours appris que de trouver une maladie à un stade précoce est la meilleure chose pour arriver à une guérison ou éviter les complications. C’est aussi ce que j’apprends aux étudiants que je côtoie. D’où, à mon avis, la pertinence des examens annuels chez les gens en bonne santé qui n’ont pas de symptôme.

Combien de nouveaux diabétiques ai-je trouvés avec un bilan sanguin de routine, chez un patient sans symptôme ? Combien de cancers intestinaux trouvés sur la base d’une prise de sang de routine démontrant une anémie, encore sans symptôme ? Il m’est aussi arrivé de demander des examens chez des gens sans aucun symptôme, simplement sur la base de trouvailles à mon examen physique.

Si j’entends quelque chose d’anormal à l’examen des poumons, que je fais un rayon X et qu’une masse est découverte, le tout chez quelqu’un sans symptôme (ce qui est fort possible), comment vais-je expliquer cela si je ne fais plus mes examens préventifs ? Mon patient faisant une crise cardiaque à 51 ans parce que je n’ai jamais vérifié son cholestérol (puisqu’il était avant en soi-disant bonne santé), que vais-je lui dire si je ne fais pas d’examen annuel ?

L’explication qu’on nous donne pour justifier cela : raisons économiques. Quels sont les coûts pour arriver à détecter une maladie grave chez une personne qui n’a aucun symptôme ? Probablement élevés. Mais allez donc le demander à ladite personne dont la maladie a été dépistée et qui peut être guérie au lieu de simplement prolonger la vie de quelques années… Demandez-le aussi à sa famille et à ses proches. Cette personne vous dira qu’il n’y a pas de prix.

Oui, c’est vrai, il est probable que sur 500 tests demandés, seulement 10 personnes auraient fait une crise cardiaque si je n’avais pas pris le cholestérol en charge. Mais quel est l’impact d’un infarctus sur la vie d’une personne, si la personne survit ?

Il faut aussi penser plus loin que quelques années. Il faudrait que les personnes prenant ce genre de décisions soient visionnaires. Peut-être va-t-on sauver quelques millions à cesser ce genre de pratique préventive, mais combien de millions coûteront les maladies que nous aurons découvertes trop tard ? Doit-on soigner des chiffres, des budgets ? Ou est-ce que je peux soigner des personnes ?

J’ai hâte au jour où je vais pouvoir prodiguer des soins à mes patients sans devoir tout d’abord demander la permission au gouvernement ou à mon association médicale.

J’ai hâte que des décisions soient prises non pas par des gens qui sont assis dans des bureaux et qui ne sont pas sur le terrain, mais bien par des personnes qui connaissent la réalité du terrain.

J’ai hâte que l’opinion de mes patients soit prise en compte par nos dirigeants. 

Je me le demande fortement : combien cela fait-il de temps que les personnes qui ont entériné ces décisions n’ont pas vu un patient en clinique ? Alors, M. Barrette et Dr Godin, je suis désolé, mais je vais continuer à faire de la médecine de famille avec une visée préventive. Je vais continuer à faire des examens annuels et à prescrire des bilans à titre préventif.

Quelle sera donc la prochaine étape ? Faire payer les patients pour avoir leurs examens s’ils ne sont pas vulnérables ?

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